Digital darwinism ou l’obligation de s’adapter pour survivre

30/05/2018, publié par Stevy Matton
digital darwinism

L’expression digital darwinism est apparue il y a environ sept ans. Derrière l’association de ces deux mots se cache une grille de lecture on ne peut plus utile pour considérer la transformation digitale au cœur des préoccupations de toutes les entreprises aujourd’hui.

De prime abord, emprunter une théorie venue de la biologie, le darwinisme, pour évoquer ce que vivent aujourd’hui les entreprises confrontées à l’accélération des progrès technologiques, peut sembler curieux. Car – rappelez-vous vos cours de sciences naturelles ! – la théorie de l’évolution a plutôt affaire avec le temps très long, celui des millions d’années qui voient émerger de nouvelles espèces vivantes, qu’avec les cycles d’innovation technologique, toujours plus courts, de notre époque.

Le digital darwinism : avoir un temps d’avance technologique devient vital

Pourtant, l’idée centrale chère à Charles Darwin, qui veut que les espèces qui perdurent sur Terre sont celles dont les caractéristiques les rendent aptes à vivre dans un environnement toujours changeant, est pertinente pour décrire ce que vivent les entreprises aujourd’hui. Le digital, porté par nombre de start-ups disruptrices, a en effet comme principale conséquence de faire émerger de nouveaux business models, détruisant ceux qui semblaient acquis. Les entreprises, à l’image des espèces vivantes, changent, tâtonnent, se réinventent. Bref, elles luttent pour s’adapter… au risque, sinon, de disparaître. Et cette lutte est pressante ! Car les consommateurs ont aujourd’hui plus que jamais tendance à être en avance d’une technologie par rapport aux marques ou aux organisations.

Des marques ont déjà disparu

Au même titre que les biologistes parlent d’espèces disparues, il n’est de fait pas difficile d’évoquer quelques marques emblématiques qui ont raté le coche de l’évolution digitale : Palm, Nokia, AOL, BlackBerry… et de manière plus générale, des secteurs tels que la presse, l’édition musicale, les fabricants de navigateurs GPS, etc.

Trait commun de ces “victimes de l’évolution” ? Soit leur produit n’était plus en phase avec l’évolution de la demande des consommateurs – c’est le cas du Palm, par exemple, disrupté par l’arrivée des smartphones. Soit le mode de distribution ou de consommation avait évolué, à l’exemple de la presse ou de la musique. Avec à chaque fois une même réticence à s’adapter, à “tuer” son propre modèle pour survivre.

Des adaptations qui font la différence

A contrario, d’autres marques ont parfaitement bien compris la nécessité de s’adapter, et ont réussi à le faire avec succès. C’est le cas d’Apple, et à plusieurs reprises : d’abord avec l’iPod, puis l’iPhone… N’oublions pas en effet qu’avant l’arrivée des ordinateurs low cost et mass market sous Windows, Apple était d’abord un fabricant d’ordinateurs ! Autre bel exemple : IBM, qui est passé d’un positionnement de fabricant d’ordinateurs à celui, désormais, de pourvoyeur d’innovation et de facilitateur de l’adaptabilité des entreprises. Cette faculté d’adaptation en profondeur est, de fait, un antidote au digital darwinism.

Aucun secteur n’est à l’abri

À l’instar de l’évolution biologique qui affecte toutes les espèces, des plus petites aux plus grandes, du fond des océans au sommet des montagnes, aucun secteur d’activité n’est à l’abri de la menace, protégé a priori. Pour s’en convaincre, regardons par exemple les difficultés actuelles de la grande distribution à changer de modèle, à faire face à la transformation numérique. L’erreur originelle des distributeurs ayant été, à mon sens, de considérer l’e-commerce comme un canal de distribution à part, en créant des départements en marge de leurs magasins, au lieu d’intégrer l’e-commerce directement dans un même parcours client. Un même écueil a impacté la VPC traditionnelle. Bref, avec le digital, les positions qui semblaient à jamais acquises ne le sont plus !

L’adaptation doit être permanente

Reste que les freins à l’adaptation sont encore nombreux. À commencer par l’organisation traditionnelle des entreprises, en silos et en départements distincts. Deuxième frein important à mes yeux : le décalage générationnel entre les dirigeants et les évolutions rapides adoptées par les consommateurs… Dernier frein – enfin ! – l’absence de sentiment d’urgence. J’entends parfois « Mes résultats sont bons. J’ai le temps de voir venir, je vais attendre que mes résultats se dégradent pour réagir. » Mais si c’est bien ce qui se produit, c’est qu’il est déjà trop tard !

Pour s’adapter, l’entreprise n’a d’autres choix que d’innover. Comment ? Je crois que le choix des moyens – s’entourer de start-ups, les racheter, ouvrir des labs, développer des POCs – n’est pas le plus important. Ce qui est essentiel, c’est que l’évolution soit permanente, rapide et continue. Qu’elles relèvent de choix technologiques ou de modèles économiques, les décisions devront être prises en très peu de temps, les actions menées rapidement. Il faut savoir tout essayer, savoir garder les évolutions qui ont un impact positif et abandonner, aussi rapidement que possible, celles qui n’en ont pas. Avec beaucoup de test and learn. En clair : au bout de deux ou trois mois, on décide si ça fonctionne… ou pas. Il faut y aller step by step, ne pas voir trop gros. Pour être agile, mieux vaut en effet de petites marches qu’on pourra redescendre ou sauter rapidement… Il ne faut pas chercher l’excellence, mais chercher le bien. Il faut faire bien… et vite.

Le client comme obsession

Et surtout : il faut avoir le client comme obsession. Il faut penser customer centric et non organisation interne. « Est-ce que c’est cela que veut mon consommateur ? Est-ce que c’est cela qu’il attend ? ». Voilà le cœur du questionnement agile. Il faut déployer cette obsession en tant que compétence à tous les niveaux de l’entreprise. Facile à dire, difficile à faire ?

Le fait est, au vu de ce que j’observe, qu’il est manifestement nécessaire de mobiliser tous les canaux à sa disposition pour conduire ce changement, pour convaincre le maximum d’acteurs possibles au sein de l’entreprise, à tous les niveaux. La conduite du changement est continue et protéiforme. On néglige trop souvent les résistances. Il convient donc de multiplier les actions : entretiens individuels, démonstrations, séminaires, vision du président, etc. Cela doit s’inscrire dès le départ et ne pas arriver à la fin, comme une cerise sur le gâteau. Puisque dès lors que vous parlez de transformation numérique, votre projet n’aura intrinsèquement jamais de fin !

Tous les acteurs de l’entreprise sont concernés

Cela signifie que l’innovation touche tous les métiers, tant opérationnels que supports. En pratique, par exemple, le client du département informatique n’est alors plus l’utilisateur interne des autres services, mais bien le consommateur final, car c’est lui qui doit bénéficier de la digitalisation des services facilités par l’IT. De la même manière, le service rendu par le département finance n’est plus principalement tourné vers l’actionnaire, mais bien vers le consommateur final en facilitant de nouveaux modèles de revenus adaptés à ses nouvelles attentes et comportements. Je le répète : être customer centric, ce n’est pas simplement une clé du succès, c’est une condition de la survie de l’entreprise. C’est le seul moyen de comprendre les besoins et attentes nouvelles des consommateurs.

Un défi de coordination

Enfin, je crois que cela ne peut se faire sans un très gros travail de coordination nécessaire pour initialiser le mouvement et accélérer la prise de décision et l’action entre les différents métiers et services de l’entreprise. Il s’agit ainsi de favoriser une prise de conscience partagée et un dialogue transverse. Car ce qu’on veut finalement, c’est bien que tous les acteurs de l’entreprise travaillent ensemble, empruntent la même direction, celle de la transformation digitale, pour répondre aux attentes clients, pas tant casser les silos de data entre départements. Ce qui risquerait de prendre énormément de temps si on veut vraiment y arriver. Or, du temps, vous l’aurez compris… on n’en a pas !